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Télétravail et titres restaurant en période de crise sanitaire : état provisoire des lieux


Télétravail et titres restaurant en période de crise sanitaire : état provisoire des lieux

 

Le télétravail « désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication » ( article L1222-9 alinéa 1er du code du travail).

 

Télétravail et titres restaurant ne font pas forcément bon ménage car la tentation est grande pour certaines entreprises recourant au télétravail de ne plus allouer à leurs salariés ces fameux titres dès lors qu’ils cessent, pour un temps, de paraître physiquement dans l’entreprise. La crise sanitaire, qui n’en finit pas, révèle avec beaucoup d’acuité cette question sur laquelle le Gouvernement, l’Urssaf ont pris position mais que les partenaires sociaux, bien curieusement, ont éludée de leurs négociations à l’occasion de l’Accord National Interprofessionnel du 26 novembre 2020.

 

Le code du travail contient bien certains articles, que l’on rappellera, mais le doute subsiste et il revient donc, comme toujours, au juge de dire le droit en cas de contestation. A cet égard, deux décisions ont été récemment rendues, l’une, le 10 mars 2021, par le tribunal judiciaire de Nanterre ( RG : 20/09616), l’autre, le 30 Mars 2021, par le tribunal judiciaire de Paris ( RG : 20/09805), avec des solutions différentes, ce qui ne facilite pas la lecture et la compréhension de la question. Ces deux décisions ont, certes, été rendues en premier ressort et les cours d’appel, respectivement, de Versailles et de Paris connaitront certainement des appels, le cas échéant, formés à leur encontre mais, en l’état, les salariés de Paris puis ceux des Hauts de Seine (on pense nécessairement au bassin d‘emploi de La Défense) ainsi que les représentants du personnel connaîtront la jurisprudence qui semble leur être, pour l’instant, applicable en la matière

 

Quelques rappels s’imposent.

 

Le télétravail n’est pas né avec la crise de l’épidémie de COVID 19, apparue en février 2020 et il lui survivra nécessairement, quand cette épidémie aura été vaincue ou, aux dires de certains épidémiologistes, quand la société aura appris à vivre avec ces crises sanitaires peut-être appelées à devenir chroniques. Mais la crise sanitaire a probablement révélé les lettres de noblesse de ce système d’organisation du travail qui peut répondre, lors de ces circonstances exceptionnelles, certes imparfaitement et de façon nécessairement limitée, à deux objectifs fondamentaux que sont la sécurité et la santé des travailleurs, d’une part et, d’autre part, la continuité du flux d’activité des entreprises et donc, leur survie.

 

Un accord national interprofessionnel (ANI) en date du 19 juillet 2005 et signé le 7 novembre 2005 par les partenaires sociaux (Medef, CGPME, UPA et 5 confédérations syndicales représentatives de salariés) a permis de transposer en droit français un accord-cadre européen en date du 16 juillet 2002 pris pour le développement dans l’Union européenne du télétravail.

 

Par suite de son extension suivant un arrêté du 9 juin 2006, les dispositions de cet ANI, ( qui donne une définition du télétravail et de ses modalités, fixe les obligations de l'employeur et les conditions d'emploi du télétravailleur, et apporte des précisions quant à leurs droits collectifs) sont devenues obligatoires pour tous les employeurs relevant d'une fédération adhérente de l'une des 3 organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) signataires de l'accord interprofessionnel, depuis le 10 juin 2006, lendemain de la publication de l'arrêté.

 

Le législateur a, par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, donné un cadre législatif au télétravail en insérant quelques articles dans le code du travail et en fixant des règles se combinant avec l’ANI de juillet 2005 dont les dispositions, non contraires au code du travail ou aux accords collectifs d’entreprise (4), demeuraient applicables.

 

Une des ordonnances du 22 septembre 2017, l’ordonnance n°2017-1387, a modifié les articles issus de la loi précitée du 22 mars 2012, en redéfinissant, notamment, le cadre juridique du télétravail, le contenu de l'avenant au contrat de travail, les conditions d'application de la présomption de l'accident du travail puis, la loi de ratification du 29 mars 2018 de cette Ordonnance a apporté quelques précisions et c’est finalement la loi du 5 septembre 2018 qui a apporté les dernières modifications aux trois articles du code du travail traitant du télétravail ( articles L 1222-9, L1222-10 et L1222-11).

 

Enfin, un nouvel Accord national interprofessionnel ( ANI) sur le télétravail a été conclu le 26 novembre 2020 entre les partenaires sociaux, dont le préambule évoque l’accord-cadre européen du 22 juin 2020 des partenaires sociaux européens qui a souligné l’impact de la numérisation de l’économie sur l’organisation du travail, et, notamment, sur le télétravail et qui a vocation, dans les trois ans de sa signature, à être transposé dans chacun des Etats membres.

 

En temps normal, le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe et, en l’absence d’accord collectif ou de charte (hypothèse très répandue dans les PME/TPE), l’employeur et le salarié peuvent convenir de recourir au télétravail en formalisant leur accord par tout moyen ( cf article L1222-9 du code du travail).

 

Le télétravail repose fondamentalement sur le volontariat et l’article L1222-9 précité prend soin d’indiquer qu’un accord collectif ou une charte doivent, notamment, préciser les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en oeuvre du télétravail.

 

Il est également précisé que l'employeur qui refuse d'accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode d'organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, motive sa réponse puis que le refus d'accepter un poste de télétravailleur n'est pas un motif de rupture du contrat de travail. IL ne fait donc pas de doute qu’on ne saurait imposer à un salarié de passer, fût-ce temporairement, au statut de télétravailleur et les pressions éventuelles à ce titre d’un employeur pourraient justifier une prise d’acte de rupture.

 

Cependant, un article du code du travail, l’article L1222-11, nullement inséré par suite de la batterie de normes apportées par la crise sanitaire mais simplement issu de la loi du 22 mars 2012, a reçu soudainement tous les honneurs en étant brandi par nombre d’entreprises dépassées par le cataclysme de ladite crise sanitaire. Cet article dispose qu’ »en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ». Cet article avait, certes, été légèrement amendé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui avait supprimé l’exigence d’un décret fixant les conditions et les modalités de mise en œuvre du télétravail en situation de crise mais il avait su se faire discret. La crise sanitaire de COVID 19 a su lui donner de l’éclat en permettant aux employeurs de se placer, non plus sur le terrain de la modification du contrat de travail et du sacro-saint volontariat mais sur celui du simple changement des conditions de travail, qui permet ainsi, au titre du pouvoir de direction, d’imposer une mesure sans requérir l’accord du salarié.

 

Le gouvernement ne manque pas de le rappeler dans un « question réponse » régulièrement actualisé sur le télétravail en citant cet article L1222-11 précité et le risque épidémique qui peut justifier le recours au télétravail sans l’accord du salarié et sans formalisme particulier.

 

Cette disposition du code du travail est à combiner avec celles figurant dans les différents accords collectifs conclus avec les délégués syndicaux ou les chartes établies unilatéralement par les employeurs, quand ils existent mais il est certain que cette faculté d’imposer le télétravail a été largement encouragée, pour ne pas dire prescrite par le gouvernement dés lors qu’on peut lire, dans ce document question/réponse, une réponse affirmative à la question de savoir si la mise en place du télétravail est une obligation pour l’entreprise: (…)OUI. Dès lors que les activités le permettent. Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l’épidémie, le télétravail doit être généralisé pour l’ensemble des activités qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100% pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance. Dans les autres cas, l’organisation du travail doit permettre de réduire les déplacements domicile-travail et d’aménager le temps de présence en entreprise pour l’exécution des tâches qui ne peuvent être réalisées en télétravail, pour réduire les interactions sociales.(…). Il reste difficile d’évoquer, comme le fait allègrement le gouvernement, une obligation généralisée de mettre en place le télétravail dés lors que les conditions sont réunies et que les activités le permettent et on sait que certains corps de métiers s’y sont assez souvent opposés.

 

IL n’en demeure pas moins que le télétravail a clairement été présenté par le gouvernement comme un mode d’organisation de l’entreprise qui participe activement à la démarche de prévention du risque d’infection au SARS-CoV-2 et permet de limiter les interactions sociales aux abords des lieux de travail et sur les trajets domicile travail.(8).En outre, l’obligation impérieuse de protéger la santé des salariés a pu conduire les employeurs à recourir massivement au télétravail, dés lors qu’une exposition au Covid 19 pourrait être sanctionnée pénalement sur la base de l’article 121-3 du code pénal réprimant les fautes involontaires d’imprudence, négligence manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou sur la base de l’article L 4741-1 du code du travail, sanctionnant l’employeur qui n’aurait pas pris les mesures de prévention suffisantes pour assurer la protection de la santé de ses salariés.

 

Rappelons la consultation du comité social et économique ( CSE) qui, au terme de l’article L2312-8 du code du travail fixant ses attributions générales, doit être informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur(…) Les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle, l'introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (…).Une consultation du CSE suppose normalement d’être effectuée en amont de la décision projetée et de recueillir, conformément aux délais posés par le code du travail, l’avis du CSE avant de mettre en place cette mesure. Dans le contexte de l’urgence sanitaire, des dispositions ont été adoptées pour faciliter, accélérer et rationaliser la consultation des représentants du personnel (recours assoupli à la visioconférence, la conférence téléphonique, la messagerie instantanée) et le document questions/réponses précité du ministère du travail indique clairement que (…) face à l’urgence de la crise sanitaire et pour répondre rapidement à la mesure de confinement décidée par le gouvernement, l’employeur pourra d’abord s’appuyer sur le fondement du L. 1222-11 du code du travail, qui prévoit que le télétravail peut être un aménagement du poste de travail pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés en cas d’épidémie pour mettre en place cette nouvelle organisation. Le CSE est ensuite consulté dès que possible après la mise en œuvre de la décision de l’employeur de recourir au télétravail. Néanmoins, l’employeur devra, sans délai, informer le CSE de sa décision.(…)

 

IL reste que cette disposition du code du travail permettant à l’employeur, en cas de circonstances exceptionnelles telles une menace d’épidémie, d’imposer le télétravail, de consulter et d’informer après coup le CSE est à sens unique et qu’elle n’aborde pas les éventuelles et tremblantes sollicitations émanant du salarié, dés lors, naturellement, que son emploi peut être effectué en télétravail. IL ne fait guère de doute, en effet, que beaucoup restent effrayés à l’idée de prendre les transports en commun, de se rendre dans les locaux d’une entreprise, autant de lieux propices à une circulation active du virus, nonobstant les précautions élémentaires très généralement suivies mais, en l’état des textes, sauf à faire valoir un droit de retrait, avec tout l’aléa qui s’en évince, en excipant de négligences ou d’incurie de la part de son employeur de nature à faire courir un risque inacceptable, le salarié soucieux de rester chez lui et de télé-travailler ne sera guère en mesure d’imposer ses vues.

 

Le document question réponse du ministère du travail, actualisé en permanence sur le site internet correspondant, aborde cette question et donne des indices. Il est en effet indiqué, à la question de savoir si un employeur peut refuser le télétravail, que le code du travail n’exclut aucun salarié du bénéfice du télétravail, qui reste donc en théorie ouvert à tous. Et de renvoyer aux critères d’éligibilité définis par les accords collectifs ou par les chartes. A défaut de ceux-ci, le ministère du travail donne des pistes pour identifier les activités ( et non les métiers) télé-travaillables, en recommandant une méthode en trois étapes :

 

            1. Lister les principales activités pour chaque fonction ou métier. Ne pas hésiter à identifier des activités qui ne sont pas jugées prioritaires habituellement mais qui pourraient avoir une valeur ajoutée pour préparer la sortie de crise : mise à jour de procédures et de supports de travail, veille, etc. 2. Evaluer les freins ou difficultés éventuelles au télétravail pour chacune de ces activités pour l’entreprise, le client et le télétravailleur (exemples : accès au serveur à distance, qualité du réseau internet, confidentialité des données, relations à préserver avec le client, maîtrise des outils numériques par le salarié concerné, etc.) 3. Identifier si des moyens et conditions peuvent être réunis pour lever ces difficultés (matériel de travail, installation de connexion sécurisée, ouverture de salles de visioconférence, définition de modalités et de plages de disponibilité pour les clients, les collègues et les managers, formation à distance à l’usage de nouveaux outils numériques, etc.)

Afin d’identifier au mieux ce qu’il est utile et réaliste de faire en télétravail de manière pertinente, ce travail doit être réalisé avec les salariés concernés afin d’identifier ce qui rend possible le télétravail et ce qui l’empêche, ce qui le facilite et ce qui le contraint. Bien comprendre l’activité et ce qui la rend possible, c’est aussi pouvoir mieux en discuter et partager les difficultés rencontrées.

La réponse se clôt par la conclusion suivante : Si aucune solution technique ne permet au salarié d’exercer son activité en télétravail, l’activité pourra se poursuivre sur le lieu de travail, conformément aux recommandations figurant dans le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés. IL n’en demeure pas moins, dans les faits que même si des solutions techniques existent, l’employeur n’est pas tenu, d’emblée, de mettre en place le télétravail face à la demande en ce sens d’un salarié.

 

S’agissant de la prise en charge des frais engagés par le salarié placé en télétravail, il convient de rappeler que les trois articles du code du travail ne comportent plus aucune règle précise sur ce point et que l’article L. 1222-10 du même code, jusqu’à sa modification par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, imposait alors à l’employeur de prendre en charge «tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ». En présence d’un accord d’entreprise ou d’une charte, la question est nécessairement abordée mais, d’une part, beaucoup d’entreprises n’ont ni accord collectif ni charte et d’autres ont pu recourir au télétravail dans les conditions d’urgence ( et d’autorité) prévues à l’article L1222-11 du code du travail sans que la question ne soit abordée, de sorte qu’un flou relatif peut survenir au moment de savoir si le salarié télétravailleur de circonstance peut solliciter quoi que ce soit à ce titre. IL n’est plus question désormais, au gré des diverses actualisations du questions/réponses sur le télétravail du ministère du travail, de prévoir une indemnité à verser au profit du salarié destinée à rembourser les frais découlant du télétravail. ON rappellera, bien sûr, que la Cour de cassation préserve de façon constante, l’obligation pour l’employeur de prendre en charge les frais qu’un salarié justifie avoir exposé pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de son employeur.

 

Le document actualisé question/réponses du ministère du travail, dans sa dernière version, aborde seulement le cas des titres restaurant et celui de la prise en charge mensuelle du titre de transport par l’employeur lorsque le salarié télétravaille à domicile durant tout le mois.

 

 

Dans le premier cas, qui nous intéresse ici, il est indiqué que les télétravailleurs bénéficient normalement des titres restaurants, au visa de l’application combinée des articles R 3262-7 du code du travail (attribution possible si le repas est pris à l’intérieur de l’horaire journalier), de l’article L1222-9 du même code ( identité des droits du télétravailleur et de du salarié exerçant ses fonctions dans les locaux de l’entreprise) et de l’article 4 de l’ANI du 19 juillet 2005 et, enfin, du principe général de l’égalité de traitement entre salariés dés lors qu’ils ont placés en situation comparable. En l’absence de dispositions claires sur ce point dans un accord collectif ou dans une charte, la question de l’attribution des titres restaurants n’est pas entièrement réglée et des conflits naîtront probablement.

 

Les deux décisions précitées de Paris et de Nanterre en sont l’exemple et justifient un premier commentaire, après rappel de quelques articles topiques.

 

L’article L3262-1 du code du travail dispose que Le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés pour leur permettre d'acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d'une personne ou d'un organisme mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 3262-3. Ce repas peut être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables.

Ces titres sont émis :

1° Soit par l'employeur au profit des salariés directement ou par l'intermédiaire du comité social et économique ;

2° Soit par une entreprise spécialisée qui les cède à l'employeur contre paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d'une commission.

Un décret détermine les conditions d'application du présent article.

L’article R 3262-7 du même code dispose qu’Un même salarié ne peut recevoir qu'un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier. Ce titre ne peut être utilisé que par le salarié auquel l'employeur l'a remis.

 

Le tribunal judiciaire de Nanterre n’a pas, par son jugement du 10 mars 2021, considéré que le télétravailleur perdait d’emblée le bénéfice des titres restaurant car il prend soin de rappeler qu’il n’est pas contestable que les télétravailleurs doivent bénéficier des tickets restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à ceux travaillant sur site sans restaurant d’entreprise (RE ou RIE).

 

Parallèlement, le tribunal judiciaire de Paris, par son jugement du 30 mars 2021, a rappelé que le principe d’égalité ne s’oppose pas cependant à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la règle qui l’établit et qu’il incombe à l’employeur de justifier de ce que les télétravailleurs se trouvent dans une situation distincte en raison notamment des conditions d’exercice de leurs fonctions et que le refus d’attribution des titres restaurant est fondé sur des raisons objectives, matériellement vérifiables et en rapport avec l’objet des titres restaurant ».

 

IL convient donc d’éviter une lecture hâtive des deux décisions et de comprendre le raisonnement suivi par les magistrats de ces deux juridictions.

Les faits soumis au tribunal judiciaire de Nanterre visaient la décision prise par l’unité économique et sociale MALAKOFF HUMANIS de ne plus attribuer, à compter du 17 mars 2020, (premier confinement) de tickets restaurants aux salariés de l’entreprise affectés sur un site non doté d’un restaurant d’entreprise et placés en télétravail.

 

Considérant que l’objectif poursuivi par l’employeur en finançant ces titres de paiement en tout ou en partie, est de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile et qu’en l’occurrence, les salariés de l’UES, placés en télétravail, le sont à leur domicile, le tribunal judiciaire de Nanterre en déduit que, en l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, ces télétravailleurs à domicile ne peuvent prétendre à l’attribution de tickets restaurant puisqu’ils ne sont pas placés dans une situation comparable à celles de leurs collègues travaillant sur site, qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise et auxquels sont remis des tickets restaurant.

 

Le jugement rappelle, notamment, l’article 4 de l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail du 19 juillet 2005 selon lequel “Les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise » et n’omet pas d’indiquer que l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 sur le télétravail ne comporte aucune disposition sur les tickets restaurant.

 

Les juges de Nanterre ont donc voulu raisonner en terme de situation comparable, dans le droit fil de l’ANI de juillet 2005 mais, pour autant, l’objectif assigné à la distribution des titres restaurant, qui serait, essentiellement, de compenser le surcoût lié à la restauration hors du domicile, n’est pas convainquant car les textes du code du travail ne mentionnent pas expressément ce surcoût et évoquent davantage une simple participation de l’employeur au coût d’un repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’un restaurateur ou d’un détaillant en fruits et légumes. Au surplus, le télétravail n’est pas nécessairement effectué au domicile et désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication (…) (art L 1222-9 alinéa 1er du code du travail). Un espace de co-working peut donc accueillir un télétravailleur, hors de son domicile même si, en ces temps récurrents de crise sanitaire, cette hypothèse est plus rare. En outre, l’article L 1222-11 précité du code du travail permet aux employeurs, en cas de menace d’épidémie, de se placer, non plus sur le terrain de la modification du contrat de travail et du sacro-saint volontariat mais sur celui du simple changement des conditions de travail, qui permet ainsi, au titre du pouvoir de direction, d’imposer une mesure sans requérir l’accord du salarié.

 

Enfin, le télétravailleur exerçant à son domicile n’est pas contraint de se restaurer chez lui, à partir des denrées préachetées et réputées moins chères et il lui est parfaitement loisible, après une dure matinée de labeur et les cris de ses tendres enfants scolarisés mais confinés ou de retour au déjeuner, de se restaurer plus paisiblement dans un établissement près de son domicile ou d’aller acheter une sacro-sainte formule déjeuner.

 

ON voit donc que les circonstances propres à chaque espèce doivent guider la décision et que, même si les premiers juges de Nanterre ont pris soin de les rappeler et même si la crise sanitaire crée une situation largement inédite, il paraît difficile et source de différence de traitement injustifiée, d’exclure, globalement et ab initio, les télétravailleurs du bénéfice des titres restaurant.

 

La position du tribunal judiciaire de Paris semble plus convaincante et pratique.
Les faits de l’espèce étaient semblables puisque, par un courrier d’avril 2020, la société SCHLUMBERGER avait informé les salariés de sa décision de réserver l’attribution des titres restaurant aux seuls employés travaillant sur site et non à ceux exerçant leur activité en télétravail.

Le tribunal, saisi par le CSE de l’entreprise et par un syndicat UNSA, a rappelé, au visa de l’article L 1222-9 du code du travail que le télétravail n’implique pas pour le salarié de se trouver à son domicile ni de disposer d’un espace personnel pour préparer son repas ». IL est ensuite indiqué, de façon fort pertinente, que le principe directeur des conditions d’utilisation des titres restaurant est de permettre à un salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, ce qui rend les conditions d’utilisation des titres restaurant compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail.

L’argument de l’employeur, tiré du défaut de compatibilité et de la restriction de l’usage du titre restaurant à certains établissements à proximité du lieu de travail et sur les jours de travail, ce qui empêcherait l’utilisation du titre restaurant pendant le temps libre et notamment quand le salarié est chez lui, a été balayé par les premiers juges de Paris. C’est le bon sens.

Le tribunal a donc constaté qu’on ne lui justifiait pas de ce que « les télétravailleurs se trouveraient dans une situation distincte en raison notamment des conditions d’exercice de leurs fonctions de sorte que le refus de leur accorder des titres restaurant ne repose sur aucune considération objective en rapport avec l’objet des titres restaurant ».

 

Cette décision se place dans la droite ligne de la position du gouvernement rappelée plus haut et de celle de l’Urssaf, s’attache à l’objet élémentaire du titre restaurant et à la raison d’être du télétravail et semble, à notre sens, d’application plus pratique et plus juste, compte tenu du contexte du/de la COVID 19 et d’un volontariat un peu bouleversé dans la mise en œuvre du télétravail en ces temps d’épidémie non révolue.

 

Les situations sont diverses mais le télétravail ne devrait pas entraîner, de facto, perte du droit au bénéfice des titres restaurant et on devrait, au contraire, considérer qu’un tel bénéfice est, par essence, compatible avec l’exécution du travail en télétravail, sauf à l’employeur de démontrer, sur la base de conditions objectives en rapport avec l’objet des titres restaurant, que les situations sont bien distinctes. Place prochainement et probablement aux arrêts de cours d’appel, celles de Versailles et de Paris et, à terme, de la chambre sociale de la Cour de cassation, si les recours sont exercés.

 

Modifier la photo

Philippe LIOUBTCHANSKY

Avocat associé au barreau de Paris

Maître de conférences associé à l'Université Sorbonne Paris Nord 


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